S’il ne fallait citer qu’une pièce qui puisse traduire l’identité des Apaches du début du 20ème siècle, ce serait celle-ci. L’Histoire du Soldat de Stravinsky concentre toutes les préoccupations des artistes parisiens de la Belle Époque : croisements artistiques, inspiration de musiques d’ailleurs, expérimentations sur la forme et le genre... Lieu de confluence des musiciens et d’artistes d’horizons variés, Paris est également la ville des premiers succès d’Igor Stravinsky, entouré de ses amis Apaches Maurice Ravel, Tristan Klingsor, Florent Schmitt, Léon-Paul Fargue et tant d’autres. C’est dans cette effervescence artistique qu’il construit son langage personnel, dont nous retrouvons toutes les composantes dans L’Histoire du Soldat.

Ragtime, Paso Doble, choral alla Bach, musique klezmer... Cette variété d’influences sert un argument d’inspiration faustienne : un soldat vend son âme au Diable en échange d’un livre qui permet de prédire l’avenir. Un conte universel, inspiré par l’auteur russe Afanassiev, qui se termine en enfer pour le soldat.

Julien Masmondet et les Apaches d’aujourd’hui ont décidé de rendre hommage à leurs aînés en reprenant cette pièce aux côtés de Didier Sandre, de la Comédie-Française, dans une version de concert pour un seul récitant qui incarne à la fois le narrateur, le soldat et le diable et sept musiciens solistes. Une adaptation réalisée par Didier Sandre dont le long compagnonnage avec l’oeuvre permet de resserrer le drame en lui donnant une profonde unité et de faire ressortir toute la musicalité du texte.

Pour introduire L’Histoire du Soldat, une création originale pour percussions et électronique commandée à Othman Louati, plonge d’emblée l’auditeur dans l’univers du rythme, celui qui sous forme de marche, devient comme un second battement de coeur qui jalonne toutes les scènes et nous accompagne pas à pas jusqu’à la dernière mesure de l’oeuvre. 

La musique électronique est la musique de l’invisible : le geste instrumental y est effacé pour toujours dans l’au-delà des sons diffusés. Sans doute, le diable s’y cache t-il déjà, bien avant que le violon ne lui soit échangé. Il attend son heure. Il voit déjà tout : le chemin fatigué, les peines, les jeux, les plaisirs, la vanité. C’est aux chevaux furieux de la percussion que Stravinsky confie la course à l’abîme. Dans ce prologue destiné aux Apaches de Julien Masmondet, le percussionniste se fait le prophète de l’exil : il sait qu’il conduira le malheureux soldat aux confins de l’obscurité ; pythie aux tambours battants, il sonnera les sacrifices et les visions des terribles steppes.